Faut-il relancer à tapis à tort et à travers ?????
Récemment, j’ai retrouvé un vieil article de Card Player, où il était question de cette nouvelle tendance chez les joueurs à faire « all-in » à tort et à travers avant le flop. L’article était signé du grand « Poker Pundit » Andy Glazer, qui a été probablement le plus grand chroniqueur spécialisé de l’histoire du poker.
Il ne fait pas de doute que ces joueurs-là posent quelques problèmes aux joueurs plus « classiques », surtout ceux qui ne trouvent pas comment s’adapter à ces empêcheurs de bluffer en rond, ces joueurs impudents qui transforment nettement le paysage du poker de tournoi.
Il faut reconnaître que si vous posez la question autour de vous, vous remarquerez que la stratégie de ces joueurs ne passe pas pour être spécialement sophistiquée. Généralement, ces joueurs sont vus comme ne connaissant qu’une seule enchère, celle du « all-in », et comme devant être chanceux pour pouvoir s’en sortir car ce ne seraient pas de fins joueurs.
Pour ce qui me concerne, c’est aussi ce que pensent les joueurs de ma façon de jouer propre quand je me trouve à une table d’Omaha pot limit. Mes adversaires estiment depuis des années qu’une part de stratégie gagnante (garder un petit tapis, sous-jouer mes belles mains pour laisser les agressifs faire le boulot, garder des suiveurs en milieu de parole et surrelancer all-in avant le flop ou au flop) n’a rien à voir avec le « vrai » poker et que les bons joueurs ne jouent jamais comme cela. Après tout, les gens qui jouent bien sont supposés essayer de couvrir tous les joueurs de la table avec leur tapis de façon à les casser d’un coup en relançant à fond, par exemple en semi-bluffant.
L’argument principal de ces critiques est que j’adopte une stratégie simpliste et sans finesse puisque je ne connais qu’une seule relance : le all-in. Entre parenthèses,il y a quand même quelques différences entre cette stratégie appliquée aux cash games et au x tournois. Le cash-games est traité aujourd’hui et je parlerai des tournois dans un prochain article.
En tout cas, j’aimerais dire que ces critiques se mettent le doigt dans l’oeil et que cette stratégie qui paraît taillée à la serpe exige beaucoup plus de critères avancés qu’ils semblent le croire. Mais je conviens que, sur le fond, ils ont raison. Même si vous êtes le meilleur joueur de votre spécialité, vous êtes bien plus à l’aise avec un gros tapis pour essayer de prendre l’avantage maximum grâce à votre plus grande expérience du jeu. Mais si vous pensez que vous n’êtes pas vraiment meilleur que vos adversaires, comme quand vous affrontez de grands joueurs ou des joueurs réputés pour leur expérience – dont la seule faiblesse est apparemment de sur-jouer quelques mains -, cette stratégie que j’utilise depuis des années avec succès peut être très utile pour obtenir des résultats de premier ordre quand le camp adverse est évolué. Ce petit tapis que je gère ainsi selon la stratégie du all-in possède plusieurs avantages sur le style de jeu « normal » :
- Vous maximisez votre espérance de gain dans les coups que vous gagnez. Car comme vous ferez all-in une fois que vos adversaires ne pourront plus vous battre (par exemple, quand vous toucherez le full max au flop ou la couleur max alors qu’ils tentent une combinaison inférieure), ils auront contribué à plus grande hauteur que si vous aviez ouvert plus bas.
- Si vous avez des joueurs très agressifs à votre gauche, vous pouvez construire des pots énormes avec plusieurs adversaires avant le flop ou au flop. A chaque fois que vous avez la meilleure main ou le meilleur tirage vous souhaitez bien sûr avoir le plus possible d’adversaires – là encore pour augmenter votre espérance de gain. En fait, si vous prenez les bonnes décisions ici, vous pouvez tripler ou quadrupler votre petit tapis en un seul coup, ce qui vous fait déjà un joli tapis. Et avec un joli tapis, le mieux que vous puissez faire est de le doubler en gagnant un tête à tête.
- Vous risquez peu pour gagner gros car l’approche avec un gros tapis est toujours risquée : si vos adversaires triomphent de vous sur un gros pot ou simplement si vous commettez une erreur, tout votre tapis peut s’envoler.
- L’approche avec un petit tapis tend à faire durer les parties plus longtemps parce que la totalité du tapis du joueur faible ne sera pas exposée tout le temps. Si un bon joueur avec un gros tapis prend le tapis d’un joueur faible, c’est souvent « game over » car le joueur faible n’a plus d’argent. Pour les autres bons joueurs de la table aussi car il n’y a plus « d’argent facile » à gagner. A moins que vous jouiez à un endroit où les pots sont multi-relancés à des niveaux de tapis que vous aimez jouer, c’est un facteur qui ne doit pas être sous-estimé pour faire durer plus longtemps les parties. Inversement, si un joueur faible ou moyen arrive à encaisser par pur hasard le tapis d’un joueur fort, il peut décider de se lever et de quitter les lieux, alors que si les tapis étaient moins gros, il pourrait décider de rester.
- Si vous adoptez et utilisez correctement mon approche du style de jeu avec petit tapis, vous devez essayer de participer à des pots avec plusieurs adversaires avant le flop ou au flop et faire votre embuscade par check & raise à chaque fois que vous avez une bonne main, et parfois même quand vous essayez juste de « flamber » avec les autres. De toute façon, sauf si vous êtes un joueur serré, vous avez intérêt à participer à des coups avec plusieurs adversaires, donc où le facteur chance pure est relativement élevé. Cela signifie que vous donnez aux joueurs faibles une possibilité de l’emporter grâce à la chance; si ce type de coups n’existait pas, les joueurs faibles ne viendraient plus jouer et il n’y aurait plus de partie de poker. Mais quand ce même joueur faible possède un gros tapis et s’il affronte un joueur fort plus riche que lui en jetons, il aura peu de chance de gagner à court terme, surtout si l’adversaire meilleur que lui a aussi l’avantage de la position – ce qui sera probablement le cas souvent, car le bon joueur aura été assez malin pour se déplacer en temps utile pour obtenir cet avantage de la position.
- En faisant all-in tôt dans le coup, vous ne pouvez pas être bluffé à cause des tableaux menaçants, ou ouvrir au flop ou à la turn ou quand la river vous fait max. Cela signifie que ce faisant, vous ne passerez quasiment jamais la main gagnante au final. En fait, il est probable que vous utilisiez cette stratégie à votre avantage car un des joueurs restants peut vous servir de « protection » et éjecter un adversaire du coup, un adversaire qui aurait peut-être gagné grâce aux cartes suivantes.
Quelques mots en conclusion
Que l’on ne se méprenne pas : je n’ai jamais dit que les joueurs qui n’adoptaient pas ma stratégie all-in étaient mauvais. C’est même le contraire, en fait. Les personnes qui l’adoptent et l’utilisent correctement ne doivent pas être sous-estimées ni regardées avec dédain. Souvent, ces spécialistes du all-in ont une bonne raison de le faire, surtout quand ils affrontent des joueurs affûtés car c’est une excellente contre-attaque aux finesses déployées par eux. En utilisant « mon » approche, vous pouvez les pousser dans leurs retranchements et vous éviterez d’être éliminé à la turn ou à la river. Bien sûr, c’est une façon de jouer qui paraît simpliste, mais cela ne signifie pas qu’elle soit perdante ni peu rentable, au contraire.