Etat des lieux en 2008 : c’était pas gagné pour le poker en France
Après des années de lutte contre les jeux en ligne, l’Etat français fait machine arrière. Forcée par Bruxelles de revoir sa législation pour se mettre en conformité avec les règles européennes, la France a décidé d’ouvrir le marché des jeux en ligne. La réforme hexagonale symbolise le potentiel d’un secteur en plein développement à l’échelle mondiale.
Rien ne va plus. Le monde des casinos traditionnels est sens dessus dessous. Les grandes places du jeu comme Las Vegas ou Macao connaissent des difficultés sans précédent. Même l’emblématique MGM Mirage a décidé de mener un plan de restructuration. Le groupe de casinos a renvoyé plus de 3.200 employés depuis octobre 2007.
A l’inverse, le monde des jeux en ligne continue à connaître une croissance insolente. En 2008, en comptant les gains reversés aux joueurs, les sites de jeux ont généré plus de 15 milliards d’euros, selon le cabinet de conseil spécialisé H2GC. A l’horizon 2012, ils devraient représenter plus de 6 % du marché mondial. Rien qu’en Europe, les casinos virtuels, salles de poker et autres bookmakers devraient dégager un produit brut des jeux de 9,8 milliards d’euros en 2012. Les mises seraient dix foix supérieures à ce montant, car les joueurs en récupèrent 90 %.
Et le mouvement n’est pas prêt de s’arrêter. La France, connue pour son conservatisme et même sa méfiance vis-à-vis des casinos, est obligée de se réformer. Bruxelles en a décidé ainsi. Le monde des jeux en ligne est déjà présent dans l’Hexagone. Pour le cabinet GBGC, les paris sportifs généreraient 176 millions d’euros de produit brut des jeux. Le poker en ligne rapporterait 69 millions d’euros et les jeux de casino, comme la roulette ou le black-jack, 85 millions d’euros. Soit un total de 330 millions d’euros.
Des prétendants nombreux et gourmands
Ces chiffres collent à la réalité de tous les jours. Difficile en effet de passer à côté des publicités des casinos en ligne et autres bookmakers. Ces preneurs de paris ne se soucient même plus de se cacher. En quelques clics, vous passez d’un site de média à votre compte en ligne. Vous pouvez alors parier sur un match de football depuis Bwin, Betclic, Sportingbet…
Ces opérateurs remettent ouvertement en cause les monopoles de la Française des Jeux et du PMU, dont les sites internet sont très fréquentés. Cela leur a parfois coûté cher puisque les dirigeants de Bwin ont été placés en garde à vue à Nice. Cette fois, ils ont pris leurs précautions puisqu’ils ont signé un partenariat avec le groupe Amaury (L’Equipe, Le Parisien…) pour développer un site Internet dédié.
Très au point sur le plan marketing, les bookmakers étrangers se veulent aussi transparents que possible. Nombre d’entre eux sont cotés en Bourse. Une partie de leur succès s’explique aussi par les faibles taxes qu’ils paient dans le paradis fiscal qui les abrite, comme Gibraltar.
De leur côté, les casinos traditionnels sont au tapis en raison de taxes exorbitantes, de l’interdiction de fumer et des contrôles d’identité. Ils espèrent se refaire avec l’ouverture des jeux en ligne. Partouche et Barrière jouent gros. Le premier a déjà lancé des sites avec des licences obtenues dans des paradis fiscaux. Le second a investi une fortune dans la conception d’un site en attendant sa licence. Les casinos savent aussi que leur poule aux oeufs d’or, les machines à sous, ne sera pas autorisée en ligne. Cela leur évitera de se faire concurrence à eux-mêmes.
En dehors de ce paysage bien connu figurent des outsiders de marque. Disposant de grands moyens, ils ne veulent pas laisser passer leur chance. Le nom de l’ancien P-DG de TF1 Patrick Le Lay est mentionné dans le rapport Durieux. Ce document rendu en mars 2008 par l’ancien ministre expliquait les modalités d’une ouverture des jeux en ligne. L’affaire pourrait s’avérer juteuse, à la fois pour le fonds d’investissement Serendipity qu’il dirige et pour le portail de la chaîne sportive Eurosport, une vitrine toute trouvée.
Parmi les groupe de médias, certains ne font pas parler d’eux. Lagardère ne devrait pas laisser échapper ce marché qui passera peut-être par la conclusion d’un partenariat. En tout cas, le groupe dispose déjà d’un site de paris gratuits à forte notoriété : Sport4fun. Il aura aussi l’opportunité de récolter les dividendes de son travail auprès de sportifs français. Enfin, Lagardère pourrait dégager des synergies avec sa filiale Sportfive, qui détient des droits sportifs.
Orange est aussi sur les rangs. « Orange, au Royaume-Uni, s’est associé à Bet2go pour son offre de paris sportifs et hippiques en ligne ou encore avec Cecure pour son aire de jeux sur son portail mobile », explique un des consultants d’Ineum Consulting.
Le nombre de candidats montre que ce marché du jeu en ligne est prometteur. Les prétendants devront s’accomoder du retard que pourrait prendre la réforme. Ils devraient aussi être gênés par les contraintes réglementaires qui risquent encore de peser sur le secteur.
La France devra clarifier les règles du jeu
La promesse d’une ouverture des jeux en ligne pourrait n’être tenue que pour 2010. Le gouvernement, par la voix du ministre du Budget, Eric Woerth, s’était engagé à ouvrir le marché avant la fin de l’année 2009. Dans les mois qui viennent, l’Assemblée nationale et le Sénat vont voter une loi pour réglementer le jeu en ligne. « Compte tenu de la situation économique et sociale, d’autres textes seront prioritaires », nous explique François Trucy, sénateur du Var et considéré comme un spécialiste de la question des jeux en France. La loi permettra de créer une commission indépendante chargée de délivrer les licences pour les opérateurs de jeux en ligne.
A Bruxelles, les représentants des bookmakers aimeraient que la réforme avance plus vite. « De nombreux partenaires du monde des jeux, dans l’audiovisuel ou le sport, veulent un changement. Sur le plan juridique, la France ne peut se permettre d’attendre que la Commission européenne envoie le dossier à la Cour de justice », nous explique Sigrid Ligné, secrétaire générale d’un lobby créé par sept opérateurs en ligne (Egba).
Le texte envisagé devrait permettre la pratique du poker. Les paris sportifs seront aussi autorisés. A priori, la solution retenue serait celle des paris mutuels (les joueurs jouent les uns contre les autres), selon François Trucy, plutôt que les paris à cote (les joueurs contre le bookmaker). L’incertitude plane sur la filière hippique. En effet, le PMU (8,84 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2007) a versé 927,8 millions d’euros de taxes à l’Etat et 727,2 millions aux sociétés de course. En toute objectivité, le PMU finance toute la filière équine et les bookmakers ne semblent clairement pas prêts à faire de même.
La fiscalité est décidément le nerf de la guerre. En effet, la France se trouve en concurrence avec des paradis fiscaux comme Malte ou Gibraltar qui délivrent des licences à tour de bras. « Si la fiscalité est dissuasive, certains sites de jeux en ligne risquent de continuer à faire du jeu sauvage », prévient François Trucy. Du côté du lobby des jeux en ligne, Sigrid Ligné plaide la bonne foi. « Les opérateurs ne peuvent se satisfaire de l’insécurité dans laquelle ils sont. La situation actuelle n’est pas satisfaisante pour les joueurs. »
D’autres marchés à conquérir si les règles changent
La réforme française pourrait servir d’exemple à d’autres pays européens. Actuellement, sept pays prohibent totalement les jeux en ligne dans l’Union européenne. Pour les bookmakers et autres salles de poker, cela ferait autant de marchés à conquérir en cas de changement.
L’appétit des opérateurs ne s’arrête pas là. Ils veulent de nouveau avoir un large accès aux joueurs américains. En effet, aux Etats-Unis, une loi datant de 2006 interdit les transferts d’argent vers les sites de jeux, sauf pour les sports virtuels, les loteries en ligne et les courses de chevaux. L’abrogation de cette loi permettrait aux bookmakers de remettre la main sur un marché représentant plusieurs milliards de dollars par an.
La rumeur attribue à Barack Obama la volonté de mener à bien cette réforme. Le président des Etats-Unis a milité pour des investissements massifs dans l’Internet. Peut-être sera-t-il prêt à se pencher sur le cas des jeux en ligne.